Encore un tsunami marketing venu d’Amérique. Le jus de cranberry (canneberge en français), paré de toutes les vertus, a débarqué depuis quelques années en force dans nos rayons. Faut-il céder à cette mode ? Le point, en quelques questions.

Quand les Américains disent cranberry, les Québécois préfèrent parler de canneberge. Depuis une demi-douzaine d’années, les industriels spécialisés dans la transformation de cette baie rouge, cultivée à 98 % en Amérique du Nord, ont décidé de conquérir le marché européen. On la retrouve sous forme de fruits séchés, de compléments alimentaires et surtout de jus. Comment les vendeurs de canneberge américains ont-ils pu accomplir une telle entrée en force ? En surfant sur la vague des super-aliments et en vantant les mérites médicinaux de leur baie made in America. Alors, faut-il céder à leurs sirènes marketing ? Quelle Santé joue au jeu des questions-réponses.

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Quel est l’argument principal des industriels de la canneberge ?

Si vous regardez la télévision, la publicité d’Ocean Spray ne vous a certainement pas échappé. Cet opérateur historique de la filière a vu le jour en 1930 aux États-Unis et pèse près des deux tiers du marché nord américain. Dans son spot télé, on voit deux agriculteurs au fort accent québécois, plongés jusqu’en haut des cuisses dans un champ de canneberges inondé. Pittoresque n’est-ce pas ? Pendant qu’ils dissertent, une allégation s’affiche en bas de l’écran : « La consommation de jus de cranberry contribue à limiter l’adhésion de certaines bactéries Escheri­chia coli sur les parois des voies urinaires. »

Voilà donc l’argument principal du poids lourd du secteur. Il est vrai que l’une des composantes de la baie, la proanthocyanidine, permettrait de prévenir les cystites et autres infections urinaires. Et que cette info trouve un très large écho sur les sites spécialisés bien-être de la toile. Pour un effet préventif, les experts du site Passeport Santé recommandent ainsi de boire entre 250 ml et 500 ml de jus par jour (contenant de 26 % à 33 % du fruit), soit 80 ml à 160 ml de jus pur, « juste avant les repas ou deux heures après avoir mangé ».

Le jus de canneberge protège-t-il vraiment des infections urinaires ?

L’Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES) rendait en mai 2011 un avis sur le sujet, après avoir analysé bon nombre des études qui foisonnent sur le sujet. Elle ne nie pas l’effet de la canneberge sur le système urinaire : « Les données expérimentales obtenues in vitro montrent que les proanthocyanidines présentes dans la canneberge ont un effet inhibiteur sur l’adhésion de certaines bactéries responsables d’infections urinaires (E. coli) aux cellules épithéliales urinaires. » Sans pour autant attribuer à la baie des pouvoirs magiques : « Cependant, les données cliniques disponibles à ce jour ne permettent pas de conclure que la consom­mation de canneberge ait un effet préventif sur les infections urinaires. Une telle allégation serait abusive au regard des connaissances actuelles. » D’où la phrase alambiquée d’Ocean Spray qui tente de respecter cet avis.

Quid des antioxydants ?

Comme beaucoup de ses consœurs de la famille des baies rouge, la cranberry est aussibourrée d’antioxydants. Sur ce point, « elle atteint un des plus hauts scores », nous dit le nutritionniste belge Nicolas Guggenbühl. Un bon point pour la canneberge ! Faut-il pour autant en abuser ? « D’un point de vue diététique ce qu’on préfère, poursuit le nutritionniste, c’est, plutôt que de se focaliser sur un seul fruit, les varier, en mangeant des fruits de couleurs différentes, parce qu’ainsi, on varie les anti­oxydants. »

La mode de la canneberge ne doit donc pas nous faire oublier les vertus de nos fruits locaux : la myrtille, surtout sa version sauvage, est encore plus riche en précieux antioxydants que sa cousine américaine.

Que trouve-t-on vraiment dans les jus de canneberge ?

À regarder de près les étiquettes, les compositions sont souvent décevantes. Comme le goût de la cranberry est très acide, les industriels y ajoutent un édulcorant. Faut-il pour autant y ajouter du sucre raffiné, des additifs en tous genres, sans parler des concentrations très faibles en cranberry ?… Dans le Cranberry Classic d’Ocean Spray, justement, on trouve del’eau, du jus de cranberry à base de concentré (25 %, un taux correct), mais aussi du sucre, du sirop de glucose, du sirop de fructose et de la vitamine C… Bref, beaucoup de superflu et rien de très recommandable pour une consommation quotidienne, contrairement à ce que sous-entend la pub.

D’ailleurs, rares sont les produits qui peuvent réellement prétendre au titre officiel de « jus ». Ils sont le plus souvent baptisés « cocktail » ou par un néologisme (comme le Cranberry Classic), puisque leur ingrédient principal n’est pas le fruit seul. Les marques Gayelord Hauser et Joker proposent chacune un cranberry, avec de jolies baies rouges mises en avant sur l’emballage. Ce qu’ils oublient de préciser (ou alors en tout petit dans la liste des ingrédients) c’est que la bouteille contient d’autres jus de fruits.

Des pesticides dans mon jus de cranberry ?

En 1959 déjà, l’annonce par le ministère de la Santé américain de la présence d’herbicide aminotriazole dans les cranberries avait fait scandale. Plus récemment, en 2006, Pesticide Action Network (ONG qui lutte contre les pesticides) révélait la présence de résidus de 13 pesticides dans de la pulpe de cranberry. Pas de quoi alerter les instances sanitaires pour autant.

En effet, dans deux rapports de 2008 et 2010, la Food and Drug Administration (administration américaine chargée des médicaments et des aliments) avait découvert des résidus de pesticides dans la moitié des échantillons d’aliments testés. Et conclu que ces concentrations étaient largement en dessous des doses admissibles.

L’offre bio est-elle meilleure ?

Oui ! Et pour trois raisons. D’abord, l’absence certaine de pesticides. Ensuite, la présence d’antioxydants y est plus importante (58 % en plus selon l’université de Californie). Et enfin, sile label bio ne garantit pas le côté sain des produits, il constitue tout de même un garde-fou, puisque de nombreux additifs sont interdits (aspartame, arômes artificiels…). Et les bio jouent le plus souvent la carte du brut et de l’honnêteté. On y trouve parfois d’autres fruits mélangés au jus de cranberry. Mais l’ajout de sucre est rarissime. Le plus souvent, il s’agit d’un jus à base de concentré. Si vous cherchez du pur jus, ce sera plus cher qu’un mélange conventionnel. Comptez alors plus de 10 € le litre.